Amira Hass
Haaretz
12-09-2011
Les chercheurs du futur se demanderont: Au sujet de la personne qui n'a pas autorisé l'importation de papier-toilette dans la bande de Gaza, sa vie était-elle menacée?
Dans cinquante ans, en supposant que le réchauffement climatique et/ou la pression d'un certain interrupteur ne décident pas du destin de la terre, ou celui de notre région, les chercheurs étudieront les documents archivés que le Maj. Gen. Eitan Dangot, le coordinateur des Activités du Gouvernement dans les Territoires (COGAT), a été forcé de révéler l'an dernier, suite à deux pétitions basées sur la loi relative à la Liberté de l'Information.
Ces documents détaillent l'implémentation de la politique de fermeture qui a déconnecté Gaza du reste de la société palestinienne. En supposant et espérant que le site web de Gisha (Centre Légal pour la Liberté de Mouvement) sera encore accessible à ce moment-là, les chercheurs y trouveront des versions scannées de ces documents publiés l'an dernier. A eux-seuls ils ne révèlent pas le sens ou non-sens de cette politique. Mais ils fournissent une leçon fascinante sur l'obéissance.
Les chercheurs de la société palestinienne ne seront pas ceux qui auront besoin de ces documents. Vraisemblablement, en étant optimistes, d'ici à 50 ans nous aurons compris ce qui est aujourd'hui si difficile d'expliquer - que les documents du pouvoir en place n'instruisent pas au sujet des gens qui sont contrôlés, mais bien plutôt au sujet du maître; et qu'une interdiction israélienne ne nous dit rien sur l'infortuné palestinien.
Les interdictions de construire une école, des toilettes ou une citerne pour collecter les eaux de pluie, de même que les interdictions de voir sa famille ou de partir pour étudier, nous racontent quelque chose sur les gens qui les ont formulées et sur ceux qui les ont mises en pratique - sur personne d'autre. Ceux qui sont au sommet prennent les décisions, et des générations entières d'israéliens les mettent fidèlement en oeuvre: des experts légaux brillants formulent, des officiers dressent des plans avec instructions, des géographes préparent des esquisses, des hauts-fonctionnaires et juristes supérieurs justifient et défendent, de jeunes contremaîtres au service des Forces de Défense Israéliennes signent des ordres de démolition pour ensuite rejoindre les équipes de démolition. Il est impossible de soutenir qu'il s'agit d'obéissance indifférente. Chacun justifie ses propres actions de manière enthousiaste.
Voici un autre exemple dans un autre domaine, les collines du sud de Hébron, le village d'Umm al-Kheir, jeudi dernier à 7 heure du matin, des agents de l'Administration Civile débarquèrent et rasèrent deux masures en tôle, une tente et une toilette. Et ce n'est pas tout, car il reste encore des ordres de démolition en attente pour 12 autres constructions. Contrairement aux tentes du Boulevard Rothschild, ici nos médias restent silencieux, obéissants, même sans instructions d'en-haut.
Aptitudes militaires s'infiltrant dans la vie civile, telle sera peut-être une conclusion des chercheurs du futur. Ou le contraire: la société civile a inspiré ceux en uniforme.
Dans 50 ans, les chercheurs étudiant ces documents ne se demanderont pas ce que ces personnes dont on rase les toilettes ont fait, ni comment ils s'en sont sortis à Gaza entre septembre 2007 et novembre 2009 sans papier de toilette, serviettes hygiéniques ni café. Cela on peut le voir dans les films de l'époque. Les chercheurs se demanderont si le général-major responsable d'interpréter les décisions du gouvernement risquait d'être exécuté en cas de désobéissance.
Ils trouveront que ce n'était pas le cas du tout - loin de là. Alors qu'en était-il des risques de licenciement, se demanderont-ils. Et apparemment ils répondront d'eux-même que pour du shampooing ou du papier-toilette cela ne valait pas la peine que les officiers posent des questions et mettent en danger leur carrière. C'est une règle universelle qui traverse toutes les sociétés et tous les âges: l'obéissance est liée à la fiche de paie.
Par les documents sur le "statut des permissions durant la fermeture", les directives hebdomadaires du COGAT concernant qui et quoi entre et sort de Gaza, on pourrait conclure qu'en octobre 2009 Gaza n'avait pas de chocolat, d'ordinateurs, de tissu, de café, de thé et pas de rallonges électriques. Parce que tous ceux-ci n'apparaissent pas dans la liste hebdomadaire des denrées autorisées à entrer, liste préparée par des officiers supérieurs au bureau du COGAT. Mais les dépêches et nouvelles dans les archives virtuelles indiqueront que ces produits commencèrent à arriver dans les marchés de Gaza en 2008 par les tunnels. Plus les interdictions israéliennes devenaient strictes, plus il y avait de la créativité. Les méthodes de creusement des tunnels devenaient plus sophistiquées et le commerce via ces tunnels se développait.
A la place des marchands et fabricants qui ont soutenu l'Autorité Palestinienne à Ramallah et dont les sources de revenu se sont taries, une nouvelle couche de businessmen apparut et se mua en partisan du Hamas pour des raisons pragmatiques. Et voici le titre d'un séminaire dans le département de science politique: "La consolidation de la domination du Hamas grâce à la politique israélienne de siège".
D'autre part, dans le département d'histoire juive, dans le cours d'anthropologie sur les "mécanismes bureaucratiques" et dans le département de psychologie on se concentrera sur le camp israélien. Là ils se demanderont qui étaient ces gens, ces mêmes officiers israéliens, qui en février 2009 interdirent l'entrée à Gaza du houmos et qui dès le mois de mai suivant le ré-autorisèrent.
C'est un fait connu qu'ils agissaient en accord avec une décision du gouvernement en réponse à la prise de pouvoir du Hamas sur l'appareil de sécurité dans la bande de Gaza en juin 2007. Il semble qu'ils appréciaient le permis de l'obéissant, et ils (non pas le ministre de la défense lui-même, mais eux les officiers) sont ceux qui ont pris les décisions spécifiques au sujet du houmos et de la farine interdits d'entrée, et ensuite plus tard décidèrent que ce houmos devait être autorisé mais pas les pignons.
Un certain degré de créativité est requis pour cette tâche - et même un peu d'humour. Les Marx Brothers assistent à une réunion à la COGAT. Le permis de l'obéissant en ce qui concerne les pâtes, qui étaient autorisées au printemps 2009, a déjà acquis une certaine notoriété. Un sénateur américain fut choqué, le secrétaire d'état des USA réprimanda, et la création italienne riche en gluten réapparut au point de passage de Kerem Shalom. L'obéissant a deux maîtres.
Quand le nouveau coordinateur des activités du gouvernement apparut fin 2009, il commença à étendre tranquillement la "liste des aliments et produits humanitaires autorisés dans la bande de Gaza". Le ridicule de la situation émietta la fraternité des combattants. C'est seulement en juin 2010, après le tsunami politique suscité par l'interception fatale de la flottille turque, que le gouvernement décida d'annuler la directive antérieure. Depuis, il ne s'agit plus d'une liste limitée de produits autorisés, mais seulement d'une liste de produits interdits pour des raisons de sécurité. Mais l'interdiction de faire sortir des produits de la bande de Gaza, c'est-à-dire l'interdiction pour les Gazaouis de produire et travailler, est toujours en acte. Les obéissants ne diminuent pas: ils sont simplement remplacés.
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